A
deux jours de sa tenue, et alors que les résultats définitifs
n’ont pas été publiés, il semble clair que l’espoir d’un
arbitrage de la crise politique vénézuélienne par le biais du
référendum révocatoire n’aura trouvé qu’une réponse partielle
dans le scrutin du 15 août.
Le fait, d’ores et déjà évident, qu’il ne
débouchera pas sur un résultat incontestable et accepté par
l’ensemble des forces politiques laisse présager d’une
prolongation de la crise politique dans ce pays latino-américain
qui est aussi le cinquième exportateur mondial de pétrole.
La victoire de Hugo Chávez à 58% contre
41%, annoncée dès l’aube du lundi 16 août, sous forme de
résultats préliminaires -et immédiatement célébrée par le
Président sans attendre la publication définitive des résultats-
restera en effet probablement accompagnée de doutes quant à la
transparence du processus.
Elle lui permettra de finir son deuxième
mandat (le premier ayant été écourté par la refonte de la
Constitution), jusqu’à fin 2006, mais sans avoir pour autant
obtenu que l’opposition et l’opinion internationale lui
reconnaissent sans réserve une franche et incontestable victoire
par les urnes. Ainsi, deux de ses objectifs n’auront pas été
atteints : faire taire par le référendum les voix discordantes
de l’opposition, et convaincre entièrement de sa bonne foi
démocratique des gouvernements occidentaux qui, malgré l’opinion
globalement favorable, mais non inconditionnelle, émise par les
observateurs internationaux (Jimmy Carter et le Secrétaire
Général de l’OEA, César Gaviria), restent encore très prudents
quant à une pleine reconnaissance de sa victoire électorale.
L’option du référendum, permise par la
constitution « bolivarienne » de 1999, choisie comme stratégie
prioritaire par l’opposition début 2003, après l’échec de la
grève pétrolière, puis acceptée finalement en juin 2004, après
de nombreux atermoiements, par un Chávez en proie à la pression
des organismes internationaux, aura pourtant permis à plusieurs
titres de réorienter la crise vénézuélienne vers une voie
démocratique.
En canalisant les oppositions par le vote,
le référendum aura offert un contrepoids aux tentations moins
démocratiques auxquelles s’étaient laissés aller récemment les
acteurs politiques vénézuéliens : un coup d’Etat puis une grève
générale illimitée, pour l’opposition ; le contrôle politique de
la justice, les licenciements massifs d’opposants dans
l’appareil d’Etat, ou le secteur pétrolier national pour le
gouvernement.
Un deuxième succès du bon sens démocratique
a été le déroulement du référendum, lors de la journée
électorale de dimanche : une journée marquée par le calme, la
patience, malgré des queues de 8, 9 ou 10 heures, en plein
soleil, pour pouvoir exercer le droit de vote. Un calme –troublé
par un unique épisode meurtrier devant un bureau de vote de
Caracas- relevant presque du miracle, et salué par le Secrétaire
Général de l’OEA, César Gaviria, qui y a vu la marque d’un « extraordinaire
civisme », au vu, en particulier, de l’intense tension politique
qui règne au Venezuela depuis près de trois ans.
Il semble malheureusement beaucoup moins
probable que le référendum débouche sur un réel arbitrage à la
crise, et parvienne à départager les Vénézuéliens qui, de part
et d’autre, attendent sincèrement du chavisme ou de l’opposition
une amélioration des problèmes du pays, à commencer par son
appauvrissement. L’expression de la volonté populaire, si elle
est enfin entrée dans la combinatoire de la crise politique
vénézuélienne, ne permettra donc pas, à court terme, de la
résoudre.
Une victoire de Chávez à 58% contre 41%,
telle qu’elle a été annoncée hier, à titre préliminaire, par le
Conseil National Electoral, est tout à fait possible : quelque
soit son pourcentage exact, elle renvoie dans tous les cas
l’opposition à ses faiblesses connues et reconnues depuis qu’elle
est apparue, dans le sillage d’une exaspération grandissante
face à la manière de gouverner de Hugo Chávez, faite d’une
grandiloquence rhétorique déconnectée de la réalité, d’une
gestion autoritaire et politisée de l’appareil d’Etat, de
promesses populistes généralement non suivies d’effet, et d’une
agressivité verbale démesurée envers ses adversaires politiques.
Quelles sont les faiblesses de l’opposition? Sa trop grande
hétérogénéité, face au caractère monolithique du chavisme, son
insuffisante structuration en partis de gouvernement, son
incapacité à dégager un leader capable de faire face au
charismatique Chávez, sa difficulté à capter très largement la
sympathie et la confiance des pauvres, qui malgré six ans sans
résultats probants, attendent encore de Chávez, pour bon nombre
d’entre eux, une amélioration de leur sort. Ainsi, l’opposition
n’a d’autre alternative, après le scrutin du 15 août, que de se
muscler comme force politique afin de constituer une vraie
alternative au chavisme. Certes, la déception de ceux qui
rêvaient d’un changement politique rapide joue dans la
difficulté de l’opposition à accepter le scrutin de dimanche ;
mais le doute ne tient pas qu’à la désillusion : il repose aussi
sur des zones d’ombre réelles qui laissent peser un doute sur la
transparence du processus électoral.
En effet, des cinq recteurs du Conseil
National Electoral, trois, dont le Président, sont favorables au
gouvernement, et deux favorables à l’opposition. Or ces derniers
n’ont pas eu accès à la salle où a eu lieu la totalisation des
voix ; ils l’ont annoncé à la presse dans la foulée de l’annonce
des résultats préliminaires, se démarquant ainsi de celle faite
par Francisco Carrasquero, Président de l’organe de contrôle des
élections. De la même manière, ni Jimmy Carter ni César Gaviria,
comme l’a reconnu hier ce dernier, visiblement embarassé, lors
de leur conférence de presse conjointe, n’ont eu accès à cette
même salle, « pour des raisons techniques » a-t-il précisé. Un
indice qui, pour les observateurs internationaux ne suffit pas à
remettre en cause la fiabilité des résultats préliminaires -
comme ils l’ont dit hier, ceux-ci leur semblent « compatibles »
avec leurs propres estimations, mais ils n’ont pas pour autant
fermé la porte à une étude plus détaillée d’éventuelles preuves
de fraude - mais qui par contre ouvre une large brèche pour
l’opposition, qui va maintenant se concentrer sur un recours
formel afin d’obtenir le recomptage des voix.
La persistance d’un doute quant à la
transparence des résultats électoraux au Venezuela n’est pas
sans rappeler le feuilleton opposant Al Gore à un George Bush
déjà autoproclamé Président des Etats-Unis, en novembre 2000.
Hugo Chávez n’a pas manqué de rappeler, narquois, cet épisode
embarrassant pour la démocratie américaine lors de son
allocution télévisée de lundi soir. Il le faisait, bien sûr,
pour vanter la supériorité de la transparence démocratique « bolivarienne ».
Le feuilleton du référendum révocatoire, qui ne fait
vraisemblablement que commencer, dira si sa raillerie était
bienvenue.
Historien,
Université de Marne-la-Vallée
Co-Auteur de « L’Amérique latine et les modèles européens »
(L’Harmattan 1998)
Auteur de « Le nationalisme cosmopolite : la référence à
l’Europe dans la construction nationale en Colombie » (à
paraître).
